Voyage à RIGA

Trois jours à RIGA

Par Laetitia Farkas Aubouy

 

 

Le 7 mars 2022, je m’envolais pour Riga pour présenter mon film au ArtDocFest, https://artdocfest.com/ru/, un festival international de films documentaires fondé par le réalisateur Vitaly Manski.

Vitaly Manski est un réalisateur russe, qui a notamment réalisé un film passionnant, très intime, sur les tout premiers jours d’investiture de Poutine, à l’époque où Eltsine lui céda le pouvoir, contre toute attente, un jour de nouvel an ; « Poutine, l'irrésistible ascension », le film est disponible sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=Y-_-HmIZvSA

Ainsi, cette année, l’édition de ce Festival international se jouera en deux temps, d’abord à Riga en mars puis à Moscou en avril. En effet un autre festival russe, actuellement hébergé en Lettonie,  avait dû s’exiler en partie car ces dernières années, les organisateurs subissaient des menaces et les films qu’ils souhaitaient présenter se voyaient censurés. Ces derniers pouvaient ainsi bénéficier d'une présentation non-censurée à Riga.

Je rejoignais donc la Baltique, douze jours après le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

Douze jours d’un flot ininterrompu d’informations, à la télé, à la radio, dans la rue, dans les bistrots, partout où l’information se répète en boucle.
Surtout douze jours d’une ambiance très bizarre, de peur, d’inquiétude, d’abord pour les ukrainiens, mais aussi pour les russes, pour ceux qui vivent là-bas, pour les proches, puis par contamination pour nous, ici, en Occident, en Europe, d’origines russes ou non, tout à coup divisés et peut-être menacés, comme si la guerre était « à nos portes ».

 

 

 

 

 

Arrivés à Riga, je suis surprise d’entendre que tout le monde parle russe. Les boulevards sont larges et les immeubles hauts, la ville tout entière a un style art nouveau.
Je me rends au Splendid Palace Cinéma, là où a lieu le festival. En chemin, il se met à neiger. Je suis accueillie par l’équipe du festival et par Vitaly Manski, adorable, qui m’offre sa casquette. Il porte un badge No War sur sa veste, et me dit, pour que je ne sois pas surprise, qu’il parlera en langue ukrainienne pendant le festival.

Je présente mon film dans la grande salle. A la fin de la projection, les spectateurs me posent des questions en russe et en letton. J’essaye de me débrouiller en répondant en russe mais je bascule assez vite en anglais. J’ai encore du travail à faire avec le Cercle des Études Russes !!!

Et je ne suis pas sortie de l’auberge car l’équipe du Festival me demande de voir quatre autres films de la compétition pour participer le lendemain à une table ronde. Une table ronde en russe !
Je ne suis pas rassurée, mais je ne suis pas à mon premier coup d’essai, un mois plus tôt, les organisateurs m’ont demandé de faire une interview sur zoom, entièrement en russe !! Voilà le résultat >>
https://www.youtube.com/watch?v=XVNmACnY-S4

(Bon, heureusement, je m’étais préparé et j’avais un peu bossé avant avec notre professeure du CER Valéria ! )

Je rencontre ensuite le jury du Festival, je suis impressionnée.
Le président du jury cette année n’est autre que Dmitri Mouratov, Prix Nobel de la paix, journaliste et éditeur en chef de Новая газета, journal de l’opposition russe qui défend la liberté d’expression et qui comptait, entre autres parmi ses journalistes, Anna Politkovskaïa.

Je vois des films, beaucoup de films, de réalisateurs russes, biélorusses, ouzbeks, ukrainiens, lettons. Tous ces films sont très engagés, mais j’y trouve de la nuance et du cinéma. Les sujets sont forts et brûlants mais ce ne sont pas des démonstrations. Il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Ces films sont des regards, des regards qui ont pris le temps et qui ainsi nous relient à l’humain, aux blessures des uns et des autres, à leur beauté aussi.

Il y a ensuite des débats, on parle de la guerre, de comment on en est arrivé là, de l’avenir aussi. L’actualité est évidemment toujours évoquée, elle est mise en relation, en miroir avec les films qui sont présentés. C’est assez passionnant.

Je ressors de ces films, de ces discussions avec le sentiment que tout ce qu’il se passe aujourd’hui, ce conflit, les origines de cette guerre, les « comment », les « pourquoi », sont bien plus complexes que tout ce que j’ai entendu les douze derniers jours en France.

Ma tête commence à se frayer un chemin de pensée, d’analyse avec l’envie farouche d’aller fouiller l’histoire et d’autres réseaux d’information pour me faire ma propre idée.

Le lendemain, la table ronde a lieu. Nous échangeons, nous débattons. Si j’arrive à suivre, à comprendre les discussions, je passe vite en anglais pour m’exprimer. Puis, à mon tour, je leur pose des questions, je demande aux russes, à mes camarades réalisateurs, s’ils ont quitté la Russie pour venir ici, si cela avait été compliqué et si ils comptaient y retourner ensuite . Certains avaient déjà fui, tout quittés et d’autres avaient prévu d’y retourner pour filmer, pour rester avec leurs proches. Tous étaient inquiets quant à l’avenir.

Nous devons interrompre la table ronde pour aller assister à un entretien entre Mouratov et un philosophe

Je suis fascinée par cet homme, Mouratov, par la façon dont il garde son sang- froid, dont il reste calme et précis, alors que le monde est à feu et à sang et que l’information déborde. Je remarque qu’il est très souvent entouré de journalistes et d’une caméra, peut-être aussi pour lui assurer une certaine protection. C’est dingue, je trouve, lui qui doit être assiégé, ultra sollicité, il arrive à prendre le temps de voir tous les films sélectionnés au Festival, dont le mien, qui comparé aux autres, ressemble à un film de vacances.

 

Le jour de mon départ, je prends un peu le temps d’aller me balader, je n’ai que la matinée. L’air est frais et océanique, la mer Baltique n’est pas loin, je me balade près des berges et dans le vieux Riga. Les rues sont pavées, le centre est beau et agréable. J’aimerais aller voir le marché central de Riga, un des plus grands marchés d’Europe qui se trouve dans de vieux Hangars, mais je n’ai pas le temps si je veux attraper mon avion. Dommage j’aurais aimé aussi prendre le train, aller voir la mer le long du golfe de Riga et m’arrêter à Jūrmala, jolie petite station balnéaire huppée à une demi- heure de la ville. Il parait que cela vaut le détour.

Je repars de Lettonie, avec du Balsam, cet alcool noir et herbacé dans mes valises, et pleins de souvenirs dans la tête. Tout est allé si vite.

Le festival russe n’aura finalement pas lieu à Moscou en avril. En effet, la veille de l’ouverture, Mouratov sera aspergé d’acétone dans un train.
Le jour de l’inauguration du festival, une sorte de milice ou un groupe de militants, s’en prendra également aux organisateurs et aux spectateurs.

 

 

Par chance, la projection de mon film, Désir d’une île, organisée par l’institut français sera maintenue
De mon appartement de Bordeaux, je me retrouve au Pioneer Cinéma (Кинотеатр Пионер) pour le débat en zoom devant quelques spectateurs moscovites.

Pendant l’échange, les questions restent évasives, absolument pas politiques en tout cas, rien à voir avec Riga. Je comprends qu’on ne pourra pas aborder tous les sujets. L’ambiance reste néanmoins joyeuse et légère, comme si de rien n’était.

Voilà, l’aventure s’est finie ainsi. Et tout ce temps, j’ai eu l’impression d’avoir voyagé en Russie.
Un jour peut-être.

Quelques mois plus tard, je reçois un message sur facebook, le message d’un russe :

« Hello, Laetitia! It’s Nika. I saw ‘Désir d'une île’ in particuliar situation: second day I’m in Riga after escaping from Moscow on two cars with other 3 family members on march 9, 2022, after our flights to TLV were cancelled. I’s been 12 days of war and we packed our suitcases and jumped into our cars, so within 20 hours we were out of the country. We stayed in Riga for several days, waiting for a new flight. We knew that there was ArtDocFest in those days and despite the shock and pretty uncertain future, we decided to go for a feeling of something familiar, as we yearly visited the festival in Moscow. And pretty randomly we were just on time, when your movie started to play. It had really magical input. In those cold, rainy and nervous days the movie with it’s light, calmness, house wood and trees, and how the light lies down on the waves or grass... It’s literally became an ‘island’ of light and hope for me. I still remember the feeling that movie gave then: the glimpse of hope that still there is an ‘island’ for me too, somewhere. (...) “

Laetitia Farkas Aubouy, le 10 mars 2023.