Avant de partager avec vous mes impressions de Russie je vous dois un aveu. A priori je voulais apprendre le russe, j’en avais très envie et depuis longtemps, non pas tant pour le parler que pour le lire.
Je ne me faisais pas trop d’illusions en effet sur le nombre d’occasions que j’aurais de me rendre dans le pays. Cela n’empêche pas d’aimer la langue et la littérature russes.
Curieusement ce choix s’est avéré payant pour un premier contact. Nous avions choisi, mon mari et moi, un voyage organisé tout à fait traditionnel , visite de Saint- Petersbourg et Moscou, train de nuit entre les deux villes. Nos guides étaient parfaitement francophones. En revanche elles n’encourageaient pas du tout mes efforts pour aligner quelques mots dans leur langue, ne seraient-ce que des formules de politesse. Elles ne me répondaient qu’en français. Même expérience auprès du personnel de notre hôtel à Saint-Petersbourg, très peu causant.
Par ailleurs un esperanto sur mesure ( pas mal de russe , un peu de français et quelques mots d’anglais ) nous a permis d’échanger avec une famille venue du sud de la Russie visiter comme nous le palais de Peterhoff.
La file d’attente était assez longue , les adultes de cette famille étaient francophiles et très sympathiques, de bonnes conditions pour faire connaissance.
A Moscou , demandant notre chemin aux alentours du Kremlin, nous sommes tombés sur une charmante jeune fille qui rêvait de devenir professeur de français . Nous avons eu une conversation intéressante , en français.
J’ai donc peu parlé mais je n’ai eu aucun mal à lire les enseignes , les indications en tous genres, et les explications même longues affichées dans les musées et les palais que nous avons visités. A ce propos nous avons été fortement impressionnés, dans les palais d’été autour de Saint-Petersbourg, par les documents montrant l’état dans lequel ils se trouvaient après la dernière guerre mondiale : il n’y avait plus que des ruines, ce qui restait de murs n’allait pas plus haut que le niveau des fenêtres du rez-de–chaussée. Pourtant, il y a une quinzaine d ‘années, nous avons vu des bâtiments fastueux entièrement reconstitués.
Je ne m’attarderai pas sur les beautés de Saint-Petersbourg, ni sur les splendeurs des palais d’été dans les environs . La visite est à la hauteur des attentes, l’Ermitage aussi évidemment. Je ne me suis pas sentie dépaysée voilà tout. Pierre le Grand a voulu une capitale européenne, c’est ainsi que je l’ai sentie . J’ai envie de dire en panoramique et technicolor , la grande mise en beauté du tricentenaire étant encore assez récente quand nous avons visité la ville.
N’insistons pas sur la proche banlieue où se trouvait notre hôtel, avec les « barres » d’immeubles d’habitation que nous connaissons bien nous aussi, ni sur les bords de la Baltique, poubelle à ciel ouvert à cet endroit : tout cela très européen aussi dans le contraste avec le centre touristique.
Puis ce fut Moscou : le coup de foudre. Le genre de rencontre qui ne s’explique pas.
Comme la plupart des membres du groupe, je n’avais pas beaucoup dormi dans le train de nuit entre Saint - Petersbourg et Moscou. Fin mai on approche des fameuses nuits blanches , la disparition du soleil est très brève, on pouvait donc profiter du paysage, pas vraiment typique , surtout des champs et des fermes.
En débarquant à Moscou je n’avais pas l’œil très vif et je n’ai pas gardé un souvenir inoubliable du trajet en car. La gare de Leningrad , pourtant imposante , ne m’a laissé qu’une vague image . Je n’ai pas été impressionnée non plus par le gigantesque monument, entrevu au passage, à la mémoire de Gagarine et à la gloire de l’expertise russe en matière d’espace. J’ai bien noté sur le trajet les « gratte-ciel » moscovites ( dont j’ai fini par aimer la silhouette ).
Enfin le car nous a arrêtés sur la Place Rouge , en pleine carte postale. C’est là que je me suis vraiment sentie en Russie. Il ne s’agissait plus d’un dépliant touristique ou de reportages télévisés. La Place Rouge sans parade militaire, au quotidien , en début de journée , n’en était pas moins un concentré d’ Histoire et de symboles.
Les murs rouges de la citadelle médiévale évoquent Ivan III, les fondations de la puissante principauté de Moscovie , la fin de la férule mongole, et Ivan IV le Terrible qui se fit tsar et donna à la principauté les dimensions d’ un empire dont le maître ne tolérait aucune contestation. Au pied des remparts le mausolée de Lénine , son corps conservé intact , pseudo éternité offerte à la vénération des foules, entretiennent la tradition d’un pouvoir sacralisé. La basilique de Serge le Bienheureux, un « fol en Christ » comme on n’en trouve qu’en Russie, témoigne d’un mysticisme dont l’art et la littérature nous parlent, et encore vivace ; d’autant qu’à sa fondation elle était dédiée à la Mère de Dieu de Kazan protectrice d’une Russie victorieuse. Cette Russie unie contre l’adversaire que rappellent les figures de Minime et Pojarsky , un homme du peuple et un aristocrate ensemble pour défendre et faire triompher la mère patrie . A l’autre extrémité le musée d’Histoire et les portes de la Résurrection.
En face des remparts un GOUM ( devenu depuis galerie de luxe ) et l’hôtel où nous n’avons fait que passer pour nous rafraîchir un peu , un parallélépipède insipide , sans doute de style stalinien, qui devait être rasé peu après, achevaient la synthèse « Images de la Russie ».
Puis nous voilà repartis vers le parc Kolomenskoïé. Ce parc est un haut lieu de Moscou à un double titre. Tout d’abord il se situe sur une colline qui surplombe la capitale , et d’où l’on a une vue exceptionnelle sur la ville. De plus c’est un musée à ciel ouvert de l’architecture traditionnelle russe , en bois et en pierre ; architecture religieuse ou de prestige, des églises et un palais.
Au rythme où notre guide nous menait nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour admirer les bâtiments représentatifs de l’architecture en bois. Dommage.
Nous avons tout de même eu droit plus longuement à l’isba de Pierre le Grand ( je ne pourrais garantir l’authenticité de chaque rondin ) et à l’église de l’ Ascension dont le clocher (sans bulbe) est , paraît-il , remarquable.
Il faisait très beau, à peine frais , l’environnement naturel et la vue sur Moscou rendaient le moment particulièrement agréable. Je commençais à être réceptive.
Avant de quitter le parc , dernière visite à Kolomenskoïé : l’église de la Mère de Dieu de Kazan ( il n’y a ni Vierge marie , ni Notre-Dame, en russe).
L’église qui lui est consacrée à Kolomenskoïé est de taille relativement modeste , mais c’était ma première église à bulbes ( bleus étoilés d’or ) . Surmontant les murs blancs les clochers à bulbe ont, pour moi, un charme très exotique.
Ensuite, dès l’entrée, je me suis trouvée face à ma première iconostase. J’ai été immédiatement fascinée. La surabondance d’images , riches de couleurs et de matières, aurait dû me décourager , mais ces icônes forment un tout , elles ont une unité inexplicable.
Bien sûr j’ai distingué parmi toutes les autres celle, très connue, de la Mère de Dieu de Kazan ; du moins une des copies ( « copie » n’a pas du tout le même sens pour les icônes peintes sur bois qui ne sont pas revendiquées comme créations uniques, que pour le marché de l’art ). Mais ici cette icône appartenait bien à un ensemble dans lequel elle prenait tout son sens.
A la galerie Trétiakov, l’autre madone particulièrement révérée, la Mère de Dieu de Vladimir, ou la Trinité de Roubliev sous son cube de verre sécurisé , n’ont fait que renforcer ma conviction. On vient les voir comme on fait la queue pour entrevoir la Joconde au Louvre. Ce qui ne leur enlève pas leurs mérites.
Ce n’est pas du tout ce que l’on ressent devant une iconostase, nées d’une tradition plusieurs fois centenaire elles sont très codées, ainsi que les icônes qui les composent. Il en émane une vraie force spirituelle .
En outre, je crois avoir compris comment, pour le meilleur et pour le pire, la foi orthodoxe (« la vraie foi »), la langue et la terre dans lesquelles un peuple s’enracine ont constitué les éléments indissociables de la naissance de l’empire russe qui devait à la fois s’émanciper (de Kiev) et se libérer (des Mongols).
A l’entrée de la laure de la Trinité-Saint-Serge j’ai vu des Russes, certains très jeunes, faire le signe de croix , porter à leurs lèvres la main qui venait de faire le signe puis se pencher pour toucher le sol de cette même main.
J’ai retrouvé, dans les nombreuses églises de cette laure de Serguiev Possad, la magie des iconostases, de même que, précédemment, au monastère de Novodevitchi à Moscou.
Mais rien n’égale l’esplanade des Cathédrales au Kremlin. L’ensemble des bâtiments blancs, dominé par les bulbes dorés des édifices religieux, est tout simplement magnifique. Et non sans humour, puisque sont exposés sur l’esplanade un canon qui devait être redoutable et n’a jamais servi , et une énorme cloche qui s’est cassée avant d’avoir sonné.
Nous avons vu, trop vite, la cathédrale dédiée à l’Archange Saint Michel et celle de l’Annonciation. Mais nous avons eu le droit à une longue visite ( pas assez longue) de celle de la Dormition dont l’iconostase et les fresques murales sont vraiment exceptionnelles. Elles m’ont fait si forte impression que, pour rester sur ces images , je ne suis pas allée visiter le Palais des Armures . Près de l’esplanade il y a un bosquet de grands arbres où l’on entend les oiseaux chanter tant le bruit de la ville y est assourdi ; juste ce qu’il fallait pour rester sous le charme.
Nous sommes allés au Bolchoï , nous promener sur l’ Arbat , nous avons pris le métro et vu certaines stations vraiment étonnantes, notre hôtel , l’ « Ukraïna », était une curiosité en soi , puisqu’il occupait une grande partie d’un des « gratte-ciel » de Moscou , dont il est devenu depuis, après restauration, un des hôtels de luxe. Mais c’est le Kremlin qui m’a laissé un souvenir inoubliable.
Avec le regret de n’avoir pas eu davantage de temps à Moscou, de tout ce que nous n’avons pas vu, de ce que nos aurions aimé revoir.
Michèle